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Point de vue sur les "frontières" de L'Encyclopédie

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08
février 2016

« Toute personne a la liberté de choisir de se référer ou non à une ou plusieurs communautés culturelles, sans considération de frontières, et de modifier ce choix. Nul ne peut se voir imposer la mention d’une référence ou être assimilé à une communauté culturelle contre son gré »

Dans le cadre du projet de L’encyclopédie des migrants, 16 textes de chercheurs accompagneront les témoignages dans l’idée d’explorer, chacun à leur manière, la question des migrations, des mobilités… Pour avoir participé aux discussions émanant du groupe de réflexion accompagnant le projet et regroupant citoyens, chercheurs, artistes, militants associatifs, etc. (pour en finir avec ces catégorisations), nous avons décidé, Gudrun Ledegen (chercheure en sociolinguistique au laboratoire PREFics de Rennes 2) et moi-même (doctorant de ce même laboratoire en sociolinguistique urbaine), de nous saisir ensemble de la question des « frontières », sans doute l’un des sujets les plus évoqués…

Voici quelques réflexions supplémentaires, qui n’apparaitront pas dans L’Encyclopédie…

UN PROJET QUI POSE LA QUESTION DES « FRONTIÈRES »

L’existence même d’un tel projet relève d’un discours sur la mobilité et par là-même sur la frontiérisation puisqu’en cherchant à circonscrire les personnes pouvant témoigner dans celui-ci, il pose indirectement une position altéritaire du témoignant face à celui du non-témoignant, du « même ». Proposée à la réflexion d’un large panel de personnes (artistes, citoyens, chercheurs, représentants institutionnels, etc.) durant la phase de conception du projet via plusieurs « groupes de réflexion » à Rennes, la question de « qui témoigne dans le projet ? » a été de celles qui ont soulevé le plus de débats. Au cœur de ces réflexions, les discussions sur le ré-établissement des « frontières » politiques dans L’Encyclopédie ont formé de vastes échanges que nous allons tenter de traduire ici.

La « frontière » nationale et sa traversée peut-elle être considérée comme (seul) critère objectif et représentatif afin de définir ce qu’est une personne « migrante » ? Cette question se pose notamment dans ce projet qui se veut tout à la fois artistique, politique, citoyen et scientifique où la position justement « politique » est posée et affirmée. La problématique soulevée par cette définition limitée a mené à deux critiques : partir de ce postulat reviendrait à reprendre à notre compte les frontières que nous souhaitons critiquer et donc poser comme différents les migrants perçus dans leur altérité ; de ce fait, il sera réifié cette altérité en donnant à voir aux lecteurs une vision politiquement correcte (au sens premier) sans faire bouger les représentations. Ces débats ont été directement liés aux questions de l’identité (qui inclut, qui exclut), de la « normalité » ou sa représentation (par exemple française) et l’étrangéité du migrant au-delà des frontières. De fait, par la réification des frontières, il se produit une altérisation, une mise en mots de la différence qui fait passer par exemple d’une frontière administrative (construite) à une frontière linguistique et culturelle. Les politiques publiques contribuent à la mise en place de ces frontières par le pouvoir d’autorité qu’elles dégagent et, de façon dialectique, ces frontières sont reprises dans les discours ordinaires. Il se faut donc participer à la déconstruction des représentations de ces frontières dans un objectif de reconnaissance des personnes et de la migration comme processus de « mobilité » (donc légitime) dans une dimension politique d’accompagnement du changement. La remise en perspective de ces frontières doit permettre ainsi de travailler sur la « marge », sur les « limites » et sur la représentation des territoires « fermés ».

MOBILITÉ(S) ET FRONTIÈRES

S’il existe une multiplicité de parcours migratoires, de mobilités de la plus quotidienne à la plus décisive, les frontières se chargent d’en définir les contours. En effet, par exemple, « l’expatriation » est souvent dissociée de « l’immigration » alors qu’elles relèvent finalement d’un même fait social : la résidence dans un autre pays que le « sien ». Les différences sémantiques sont tout autant incorporées qu’elles sont discriminantes : alors qu’on peut « s’expatrier » (soi-même) on ne peut « s’immigrer », cela révèle l’ouverture des frontières pour les uns (situés du bon côté des frontières au départ) contre la fermeture pour les autres (Frontex est là pour le rappeler).

« Toute personne a la liberté de choisir de se référer ou non à une ou plusieurs communautés culturelles, sans considération de frontières, et de modifier ce choix. Nul ne peut se voir imposer la mention d’une référence ou être assimilé à une communauté culturelle contre son gré »

Traiter des questions de « frontière » dans la construction d’un projet autour et avec des « migrants », c’est ainsi prendre en compte une double construction physique et discursive d’un objet auquel des personnes sont renvoyées positivement ou négativement (de façon très simpliste et dichotomique) via des mobilités valorisées ou dévalorisées. En effet, il importe ici de poser la question des discours et des représentations sur la figure du « migrant » pour comprendre les enjeux liés à la production d’une encyclopédie sur ce sujet. De fait, il participe comme nous l’avons déjà dit de la littératie tout en se posant la question de ses propres bases, de ses implicites et de ses prédéterminations. A travers les débats ouverts sur l’identité des témoignants (est-on dans une hétéro- ou une auto- désignation en tant que « migrant » ?) ou sur les mots utilisés dans L’Encyclopédie, etc. l’équipe a mis en jeu ses propres représentations, ses propres catégorisations, ses propres frontières… De là, ressort des positions différentes quant aux frontières du projet : le migrant européen a-t-il autant le droit de se (dis)qualifier de migrant qu’une personne fuyant la guerre syrienne ? Sur ce point, le projet se réfère à un l’article 4 de déclaration de Fribourg sur les droits culturels : « Toute personne a la liberté de choisir de se référer ou non à une ou plusieurs communautés culturelles, sans considération de frontières, et de modifier ce choix. Nul ne peut se voir imposer la mention d’une référence ou être assimilé à une communauté culturelle contre son gré ». Ce positionnement, qui vise à se donner des balises quant aux possibles pratiques discriminantes émanant de pré-catégorisations, doit nous questionner sur les visions altéritaire prédominantes de nos sociétés.

Thomas VETIER