Nous sommes tous familiers des polices de caractère que nous utilisons au quotidien : Arial, Times New Roman ou Georgia sont parmi les plus connues. Malgré le fait qu’elles soient déjà sur nos ordinateurs, ces polices sont le résultat d’un travail rigoureux de graphiste et le fruit d’une longue maturation, étroitement liée à l’histoire et à l’évolution des techniques d’imprimerie.
Auparavant, le terme de typographe désignait à la fois l’imprimeur et le créateur de caractères. Désormais, les typographes sont ceux qui imaginent, inventent et créent de nouvelles typographies. Ils se basent sur la classification des caractères typographiques, mise en place au XIXe siècle. C’est un travail de longue haleine puisque chaque typographe doit veiller à d’innombrables détails. Il s’efforce par exemple de mesurer toutes les possibilités pour créer une police qui sera toujours aussi visible quelque soit son corps ou sa graisse. Il s’agit ainsi de réinventer le dessin des lettres et de les adapter pour de nouvelles situations, le but premier d’une typographie étant finalement d’attirer l’œil et de captiver le lecteur de bout en bout.
Dans le cas du projet de L’Encyclopédie des migrants, nous avons choisi comme police principale la Stuart et comme police secondaire l’Avenir[1]. La Stuart est utilisée comme police de labeur[2], ainsi que pour les titres — dans notre projet, les prénoms et noms des témoins participants. Le créateur de la Stuart, Matthieu Cortat est à l’origine de la fonderie[3] nonpareille.net qui propose à la vente une vingtaine de typographies originales. Né en Suisse en 1982, il s’est depuis installé à Lyon, où il exerce les métiers de graphiste et de dessinateur de caractères. Il ajoute à cela des activités pédagogiques puisqu’il propose des interventions scolaires et des conférences au Musée de l’imprimerie et de la communication graphique de Lyon.
La police Stuart appartient à la famille des humanes, que l’on appelle aussi les véniciennes. Les caractères appartenant à cette famille sont issus des créations typographiques du XVe siècle et s’inspirent des textes humanistes du Moyen-Âge[4]. Les minuscules dérivent de l’écriture carolingienne ou caroline, alors que les capitales empruntent les lettres romaines. Aujourd’hui, les humanes sont très peu utilisées et ont même presque entièrement disparu de l’édition. On ne les retrouve plus que dans les livres de la Renaissance.
Le projet de L’Encyclopédie des migrants a choisi la Stuart pour sa référence à l’histoire typographique et son dessin contemporain. En effet, cette police sert à la fois pour des supports physiques et pour des projets numériques, ce qui l’inscrit dans une certaine modernité. Par exemple, les empattements de la Stuart, qui sont la marque de quasiment toutes les polices utilisées en imprimerie, permettent aux yeux du lecteur de ne pas se fatiguer et ainsi de lire des textes longs, quelque soit le support. Par ailleurs, sa ressemblance avec les typographies de la Renaissance rappelle la police de la célèbre Encyclopédie de Diderot et d’Alembert, deux grands penseurs du siècle des Lumières, dont L’Encyclopédie des migrants se veut la descendante.
[1] Au sujet de laquelle un billet sera bientôt posté.
[2] C’est-à-dire, le texte de base. Dans notre cas, il s’agit de la traduction dans quatre langues des lettres manuscrites des témoins.
[3] À l’origine, une fonderie typographique est une entreprise qui réalise des polices de caractères, en relief et en plomb. Actuellement, les polices sont créées numériquement.
[4] Le terme humaniste vient du latin umanista, le professeur qui enseigne les « humanités », c’est-à-dire la grammaire et la rhétorique. On pourra prendre pour exemple, Rabelais, Érasme ou bien Dolet.